mardi 11 mai 2010

II faut vieillir

« II faut vieillir.
Ne pleure pas, ne joins pas des doigts suppliants,
ne te révolte pas : il faut vieillir.
Répète-toi cette parole, non comme un cri de désespoir,
mais comme le rappel d'un départ nécessaire.
Regarde- toi, regarde tes paupières, tes lèvres,
soulève sur tes tempes les boucles de tes cheveux :
déjà tu commences à t'éloigner de ta vie,
ne l'oublie pas, il faut vieillir !

Eloigne-toi lentement, lentement, sans larmes; n'oublie rien !
Emporte ta santé, ta gaîté, ta coquetterie, le peu de bonté et
de justice qui t'a rendu la vie moins amère; n'oublie pas !
Va-t'en parée, va-t'en douce, et ne t'arrête pas le long
de la route irrésistible, tu l'essaierais en vain,- puisqu'il faut vieillir !
Suis le chemin, et ne t'y couche que pour mourir.
Et quand tu t'étendras en travers du vertigineux ruban ondulé,
si tu n'as pas laissé derrière toi un à un tes cheveux en boucles,
ni tes dents une à une, ni tes membres un à un usés,
si la poudre éternelle n'a pas, avant ta dernière heure sevré tes yeux
de la lumière merveilleuse - si tu as, jusqu'au bout gardé dans
ta main la main amie qui te guide, couche-toi en souriant, dors heureuse,
dors privilégiée..."


Les Vrilles de la vigne,
Colette

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